mardi 10 janvier 2023

Rencontre avec Ibrahima Sagna, conservateur au parc de Hann à Dakar

 

Je m’appelle El Hadj Ibrahima Bamba Sagna. El Hadj c’est quelqu’un qui a fait le voyage à la Mecque. Bamba en Mandingue signifie le crocodile. Sagna est mon nom de famille qui signifie nid de serpent. Dans la vie courante, on m’appelle Ibrahima qui renvoie au prophète Abraham. Les artistes eux, m’appellent affectueusement Sagna. Trop de choses me lient à la nature. Je suis l’Afrique et j’incarne la nature africaine dans toute sa diversité.


Que cherchez-vous dans cette forêt urbaine ?

C’est un appel de la nature. Je suis arrivé au parc de Hann en 2010 à la faveur de la célébration du 50ème anniversaire du Festival mondial des Arts Nègres. Le Comité d’organisation avait fait appel à moi pour une exposition des instruments de musiques traditionnelles africaines étant donné que c’est mon domaine de prédilection.  



J’ai toujours aimé collectionner les instruments de musique traditionnelle africaine. L’aventure a commencé depuis 1986. C’est une passion qui m’a animé très tôt. Avec l’expérience, je suis devenu conservateur. Et c’est toujours avec cette passion que je m’occupe de ces instruments en voie de disparition, aujourd’hui. Ces instruments de musique proviennent de plusieurs pays. Par le passé, ils ont joué un rôle capital dans la communication et la préservation de nos valeurs. Ils ont servi de relai entre chefs, notables et différentes couches sociales. Ce n'était pas seulement des instruments pour le divertissement comme c'est le cas aujourd'hui. Nos tamtams, tambours, djembe, kora, flutes, cithares, guitares une valeur anthropologique.  


A quoi renvoie le Bois sacré?
Quand je suis arrivé au parc de
  Hann, on m’a montré pas mal d’espaces, mais j’ai rétorqué que ce n’est pas ce que je voulais. Nous avons fait le tour du parc. Mais lorsqu’on m’a amené à cet endroit précis de la forêt, j’ai été séduit par la nature et je me suis dit : voilà l’endroit idéal qui correspond à mes aspirations et je l’ai nommé Bois sacré. 

Avant d’arriver ici, il n’ y avait que des arbres. Leur forme a tout de suite attiré mon attention. Des branches d'arbres entrelacées, comme si quelqu'un était passé faire des dispositions particulières, pourtant c'est naturel. Je voyais en ces arbres quelque chose de spirituel. J’ai été fasciné par la beauté et le calme de la nature. J’ai vu en ces lieux quelque chose de sacré, quelque chose qui me rattache à mes racines africaines, bien que nous soyons en pleine capitale et que l'urbanisation rapide nous fasse oublier qu'on a besoin de cette nature et de toutes ses composantes pour être en osmose avec nous même. 



Racontez-nous une journée au Bois sacré…

Je vis au rythme des chants d’oiseaux et du vent qui me bercent et me permettent de me connecter spirituellement. Déjà, il faut savoir que ce sont les ancêtres du Bois qui m’ont accepté. Sans eux, je ne me serai pas installé ici, c’est clair. Les ancêtres veillent sur moi et me font confiance. Peut-être vous n’allez pas me comprendre, mais c’est comme ça. Quand j’arrive le matin, mon premier reflexe est de nourrir toute cette « population » qui m’entoure. Je parle des oiseaux à qui il faut donner de l’eau. Vous voyez tous ces bocaux qui sont installés ça et là dans le jardin. Je les rempli d’eau pour permettre aux oiseaux de s’abreuver. Je verse aussi des céréales sur les bâches pour qu’ils puissent picorer en toute tranquillité. Je prends aussi soin de « mes voisins » : les margouillats, les varans, les scorpions, les fourmis, les criquets (Rires). Je leur donne ce que je peux leur offrir, ils mangent et retournent dans les herbes. C’est comme une sorte d’échange, parce qu’en réalité, c’est moi qui occupe leur espace de vie. Si nous étions entre humains, je devais leur verser un loyer tous les mois pour avoir occupé une partie de leur espace. 


Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ici?

Durant certaines saisons, il y a beaucoup de moustiques, mais même là, je n’ai pas pu les faire partir définitivement parce que eux aussi sont en harmonie avec cet environnement. Pour me protéger des piqures, j’applique une pommade quotidienne et je dors couvert. Ainsi, je suis à l’abri du paludisme. Au début, je passais mes nuits ici, parce que spirituellement, il y a quelque chose que je recherche. Il m’est arrivé de passer la tabaski ici sur place. Mais depuis que j’ai perdu ma mère, je retourne très souvent dans la maison familiale, à Malika, où je m’occupe de mon père qui est âgé et je veille aussi sur mes nièces.


Quels sont les souvenirs que vous gardez de vos premiers jours ici ?

Avant ce fameux anniversaire du Festival Mondial des Arts Nègres, je n’étais pas encore venu au bois sacré. Mais, je me souviens que je n’avais pas peur de cet endroit. Au contraire, les premiers contacts ont été bons. Il y avait une symbiose entre la nature et moi. J’étais attiré et fasciné par la beauté des lieux. Je connais bien les secrets de la nature. Pour tout vous dire, je peux facilement décoder les énigmes de la nature.



Qu’est-ce qui vous permet de comprendre cette nature ?

Je suis un initié de la forêt. J’ai effectué mon initiation depuis 1982. Depuis cette date, toute peur a m’a été enlevée. Par contre ce qui m’intrigue encore aujourd’hui, c’est le fait  qu’à mes débuts ici, je pouvais rester tout un mois sans recevoir de la visite. Les gens craignaient de se retrouver ici. Ils disaient que ces lieux étaient mystiques et possédés. Moi, ça me faisait rigoler.


Combien de visiteurs receviez-vous par jour ?

Même pas une dizaine par mois. Les gens avaient peur. Ils disaient que les lieux étaient possédés, que c’était plein de fétiches africains. A cause de ces fausses croyances, ils ne venaient pas.



Qu'avez-vous fait pour que les gens adhèrent finalement à l’idée de visiter le Bois sacré ?

Il fallait aller vers eux. Par exemple, quand les élèves venaient au parc pour des visites lors des journées pédagogiques, j’allais à leur rencontre. Je leur racontais les bienfaits de la nature et tout ce qu'on a pu y tirer pour perpétrer notre existence sur terre. Ils me demandaient tout le temps : Qu’est-ce que vous faites ici ? Pourquoi vous restez là, à cet endroit isolé et moche? Je leur expliquais plein de choses: la guérison par les plantes, je leur présentais ces instruments de musique qu’ils n’avaient pas l’habitude de voir tous les jours ou bien qu’ils voyaient seulement à travers la télévision. J'initias des échanges sur les différentes peuples du Sénégal en particulier et d'Afrique en général, on discutais des objets que leurs ancêtres avaient utilisé et ça, ça éveillait leur curiosité. 


De bouche à oreille, l’information a commencé à circuler. Les gens ont donc commencé à venir, d’abord pour profiter du temps qu'il fait, prendre des photos, des vidéos, jouer à un instrument, s'occuper d'une plante, etc. C’est comme cela que la réputation du Bois sacré s’est agrandie. Alors, j’ai commencé à recevoir des personnalités du monde des arts et de la culture, des artistes et collectionneurs venus des quatre coins du monde, des personnes intéressées par la pharmacopée traditionnelle africaine, des simples touristes, des curieux, etc.


Comment voyez-vous l'avenir au sein de cette forêt?
Au regard des progrès observés dans tous les domaines de la vie, aujourd'hui, je pense que c'est important de protéger notre écosystème. Si nous ne protégeons pas nos espaces verts, nos forêts, on court tout droit vers une catastrophe. 

 Propos recueillis par IG

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