Vient de paraître.
"La démocratie contre la République. L'autre histoire du gouvernement du peuple". L'ouvrage paru aux éditions l'Harmattan a été présenté au public de Dakar le mercredi 30 mars 2016. Lire la note critique de l'écrivain, chercheur en Philosophie politique et juriste, Placide Mandona.
Le livre que j’ai l’honneur de vous présenter compte 340 pages, 693 citations de bas de page et plus de 84 paragraphes. Il traite d’un problème très ancien, mais toujours actuel, incompris et souvent bien falsifié. Un problème qui se situe au cœur de la pensée politique du moment : la dame « Démocratie » qui s’impose à brule-pourpoint dans un caractère d’immaculée conception comme un Bien en politique. Riche comme travail, cette œuvre digne d’un docte explore avec une profondeur exquise l’origine de la démocratie, sa haine par les anciens, son évolution à travers le temps, sa réhabilitation, ses limites et son imposition dans le monde de notre temps.
Dans son introduction, le docteur en économie part d’un constat réel : l’ubiquité de la démocratie dans tous les débats qui alimentent nos modes de vie. La dame démocratie s’impose à notre époque. Elle est celle sans laquelle on est tout de suite taxé de mauvais, de truand, de dictateur etc. D’où cette étonnante question : «
Comment un mot qui a été décrié pendant 19 siècles puisse respirer une odeur de sainteté incontestable de nos jours ? A la manière de l’invective, l’auteur se lance dans un va-tout : qui a produit ce génie de démocratie ? Dans quelle circonstance ? "
Volumineux et d’essence sérieuse, le livre comprend sept chapitres de grandeur inégale. Le premier s’intitule : «
Que cache la démocratie ? » A travers celui-ci, l’auteur étudie le concept démocratie et renseigne que « Démokratia » serait née sur le berceau de la polémique et de l’invective. A l’origine, ce mot faisait référence moins au gouvernement du peuple qu’à une configuration où règne la violence voire la puissance du demos » (p.27). Dans ce même chapitre, il développe l’expression « gouvernement du peuple »
et nous explique les divers usages du concept « peuple ».
En effet, la compréhension du mot peuple est différent dans l’entendement de ses manipulateurs. Se basant sur Gérard Bras, Ndongo indique qu’il peut y voir trois usages du mot peuple : le peuple juridique, le peuple dans la catégorie ethnologique et le peuple social (les non-possédants). Ce concept est donc équivoque. Ainsi, le peuple veut simplement dire plusieurs choses différentes. Développant son concept de base, l’auteur procède à la thérapie de divers usages du concept « démocratie ». Six autres usages recouvriraient ce concept, à savoir : un spécimen politique, un état social, un bien politique, un type de performance institutionnelle, une étiquette politique, et une rhétorique.
Dans le deuxième chapitre intitulé : «
La démocratie antique : usages et mésusages », le constat de notre écrivain est clair : «
c’est une distorsion majeure de l’histoire que de considérer la Grèce comme étant le berceau de la démocratie bien que le mot serait d’origine grecque ». Dans la foulée, Ndongo nous amène vers le cheminement de la démocratie et explique avec une profonde clarté l’installation du gouvernement démocratique à Athènes, son apogée grâce à Périclès au Vème siècle av. J.C., et son déclin dès la mort du brillant Périclès. Pour achever son chapitre, l’auteur nous donne des informations sur les présupposés de la démocratie, ses valeurs, sa signification et son invention. S’agissant de l’invention du concept en étude, l’auteur avoue que celui-ci n’est pas une marque déposée en avançant plusieurs arguments convaincants. Pour Ndongo, dire que la démocratie est née en Grèce renvoie sans doute à un spécimen politique nouveau.
Pour mieux déceler ce que cache le mot ainsi que son mésusage comme son usage, l’écrivain déconstructeur nous enseigne, dans le troisième chapitre le mépris de la démocratie au titre lapidaire : «
La haine de la démocratie : un héritage antique ». Il se base ici non pas de l’histoire politique, mais bien de sa théorie. Le mot était haï de tous les classiques, y compris Platon dans Son chef d’œuvre que d’aucuns appellent « La République » (livre 8), Aristophane comme Aristote furent aussi les grands critiques dudit régime. Plusieurs griefs à la démocratie : son ingratitude à l’égard des grands hommes. A cause d’elle, Aristide (le juste), est banni dans la Polis. Thémistocle connaîtra aussi le sort d’Aristide. Miltiade, héros de la guerre, qui dut mourir en prison à cause de la décision de la masse. Dans les moments de folie qu’on lui connait, la démocratie a fait exécuter le brave général Phocion ainsi que beaucoup de ses amis. Elle est intolérable.
Parce qu’intolérable, il faut penser autrement. Platon étudiera dans le livre VIII de la République les différents régimes et qu’Aristote proposera, quelques années la possibilité d’avoir des constitutions mixtes. Bref, la démocratie est : « le moins bon des bons gouvernements, et le meilleur des mauvais », propos de Platon rapporté par Aristote.
Etant haï par les grands-pères de l’Antiquité philosophico-politique, les modernes rejetteront aussi ce régime, d’où la raison du quatrième chapitre « Le rejet de la démocratie par les modernes ». Les modernes l’accusent de régime « impraticable ». Elle l’est de par sa forme, ses habitudes politiques, et de par ses valeurs. La majorité bourgeoise ne voulait jamais de ce régime que le 21ème siècle chante à cor et à cri. Ce mépris de la dame démocratie se remarque aussi bien chez Jefferson comme chez John Adams. D’autres voient dans la démocratie un gouvernement instable, violent et éphémère, sans remède contre les factions et des critiques virulentes à son endroit lorsqu’on se rapporte aux propos du vieux Kant et autres savants. Impraticable et peu rationnelle comme forme d’organisation politique, la démocratie était incapable de vivre longtemps mais aussi gouvernement opposé à l’accumulation de richesses.
Si on décide d’aborder le cinquième chapitre, l’on dira uniment que
Ndongo Samba Sylla est un homme atypique au sens où il défend une idée non pas à la manière du commun des mortels mais à une manière scientifiquement prouvée et propre à un deconstructeur fidèle à Jacques Derrida. Dans ce cinquième chapitre de 56 pages qui a pour titre : « Le gouvernement représentatif : gouvernement des capables ». On remarque dans cette partie la condamnation du système démocratique comme gouvernement « impraticable » à cause justement de ses inconvénients. Il faut combattre la démocratie parce qu’il est le régime inapplicable et proche de l’aristocratie.
Dans l’antépénultième chapitre,
« De l’ancienne à la nouvelle démocratie : la construction d’une imposture », notre génie se livre plus intimement encore en auscultant l’imposture de la construction démocratique en partant de la démocratie représentative aux quelques voies dissidentes en passant par l’évolution sémantique du mot démocratie dans les dictionnaires et son abus. Ce chapitre est un des moments émouvants de cet ouvrage. L’auteur nous ouvre enfin son cœur de pédagogue à voix basse lorsqu’il met à nu le jeu du langage par ses habituels fabricants.
Dans la foulée, le dernier chapitre « La démocratie 2.0. : Gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple» .Ce chapitre est le plus révélateur en raison de son approche heuristique. En effet, Ndongo se rend compte qu’à la question : qu’est-ce que la démocratie ? Le vulgum pecus ainsi que les intellectuels avertis ont une seule réponse : gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». L’auteur doute de considérer la démocratie comme étant « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » et dire que la formule a été utilisée par Lincoln serait à quelques centimètres d’une affirmation gratuite.
Ainsi, si la démocratie entendue comme « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » est aujourd’hui d’actualité, il faut signifier qu’il y a eu une certaine coupure épistémologique, dans le sens d’un changement de système d’évaluation, mais aussi du mode opératoire des fabricants de l’opinion. De surcroit, l’exploit du XXème siècle, nous dit Ndongo, a été de réhabiliter le mot démocratie pour nous éloigner encore davantage de l’idée de base qu’il couvait jusque-là (p.288).
Que pouvons-nous retenir de ce beau livre? De ce chapitre sombre politique de la falsification du concept au prétoire, Ndongo Samba Sylla, a tiré de belles pages de son œuvre d’esprit. Beaucoup sont les falsificateurs de l’histoire. C'est une philosophie qui n'a rien à voir avec les exigences éthiques et morales.
Ce livre est d’une importance rarissime, richissime et sérénissime, cependant, en tant qu’une œuvre humaine, il n’échappe pas à quelques ratés. Voilà qui justifie, cher monsieur Ndongo Samba Sylla le sens de la gloire sans gloriole pour la véritable et durable gloire. Rassurez-vous, Monsieur, vous n'êtes pas le premier de nos brillants scientifiques à avoir reçu de la critique des volées de bois vert. Plusieurs personnes ayant accepté de traverser le pont du prestigieux Goethe Institut de Dakar, furent descendus en flammes. Quant à nous, Dieu sait que nous aurons notre part d’éreintements. Aussi notre compassion vous est-elle acquise. Le Goethe Institut est doux aux grands blessés de la critique. Le mystère, c'est que personne n’est sortie de cette salle à moitié malade, mêmes les plus grands des écrivains tortionnaires. Pour passer de la gloire à la critique, je me propose d’user du « je » et non du « nous » pour la simple raison que j’aimerais endosser seul la responsabilité de mes affirmations.
Essayons de définir votre style. Votre plume est directe, élégante, acérée, ironique, poétique et d’une clarté indubitable. Elle a du mouvement, elle sait débusquer les anecdotes et l’humour. Vos écrits ont de l’allant, ils sont vivants. Vous êtes un adepte de la vérité scientifique. Vos écrits en témoignent. Vos interventions politiques et économiques comme vos écrits sur le commerce équitable sont de la même eau claire et vive. En revanche, vos comparaisons peuvent paraître, elles, plus béquillardes, confuses, provocatrices voire faibles. En effet, comparer le concept démocratie à la Sainte Bible est semblable à une dialectique qui va de la thèse à l’antithèse pour s’élever dans la confusion et le non-sens. Comparer le christianisme bimillénaire à la démocratie centenaire réhabilitée relève plutôt des quiproquos impudents comme comparer le peuple du prêtre sans la maîtrise du droit canonique et de la doctrine chrétienne est semblable à l’outrecuidance sophiste de la trempe de Protagoras. En sus, les déambulations et les vagabondages littéraires conviennent moins à votre style ; il vous faut aller vers un but, vers une démonstration pour lui donner du muscle et de la consistance. Mais, dans votre catégorie, celle des économistes à plume, qu'on peut considérer comme des amateurs pluridisciplinaires, vous figurez à une place très estimable, très proche de nature et de culture de Joseph Stiglitz et de Samir Amin, par exemple, mais de qualité et d’intérêt inégaux.
Il y a en vous un idéalisme de l’intelligence, comme si, grâce à elle, l’humanité pouvait abdiquer ses passions nocives. Cela ne veut pas dire que l’idéologie de Samba Sylla soit une philosophie platonique qui ne donne pas de résultats. Loin de là. Cependant, votre livre comporte quelques erreurs de syntaxe et d’orthographe. Je vous reporte aux pages 102 et 103 pour ne citer que cela. Faudrait-il ici et maintenant rappeler que la bibliographie exhaustive ou sélective est d’une exigence capitale pour beaucoup de lecteurs ? Votre livre est en manque de ce document combien important.
La richesse d’un beau livre, c’est aussi le mélange de diverses langues. Vous trouverez dans cette monumentale œuvre : l’anglais, l’italien, le français, le latin et le grec. Hélas, le livre ne présente pas une table des matières détaillées. Certes, original et originel, ce livre est avant tout celui de Philosophie politique avec beaucoup de recours à l’histoire, à la philosophie de l’histoire, à la phénoménologie, aux sciences politiques, à l’épistémologie, à la métaphysique, à la stylistique française, aux langues, à la religion, à la sociologie, au droit et à l’actualité dans son quotidien.
S’il faut continuer la critique dans son sens véridique, je dois avec ou le risque de me redire réaffirmer avec foi en la pérennité de la science que l’ouvrage de Ndongo Samba Sylla est une contribution fondamentale à l’histoire du concept « démocratie », une invitation catégorique à notre conscience intellectuelle et une heuristique spéciale sur l’origine de certaines de nos valeurs. Je souhaite un meilleur succès à l’auteur parce qu’il le mérite et des meilleures ventes d’autant plus que le livre est d’une intelligence qui n’est ni habituelle ni populaire. En sus, « par son œuvre intellectuelle, sa profondeur spirituelle et sa valeur humaine, par son rayonnement africain, il n’est pas connu de tous les milieux politiques africains et il n’hésite pas à polémiquer mondialement ; par son caractère à fleurets non mouchetés, par son attachement profond à des questions sérieuses et à sa tradition scientifique, le Chercheur Ndongo Samba Sylla mérite à bien des titres que l’Assemblée du Goethe Institut de Dakar lui dise merci en applaudissant illico presto ! »
Placide MANDONA,
Ecrivain, Chercheur en Philosophie Politique et Juriste.